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Les banques intragroupe : utilité et risques.

Par 21 janvier 2013Un commentaire13 minutes de lecture
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Certaines grandes entreprises possèdent des banques au sens le plus strict de la définition réglementée d’un établissement financier.

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Généralement, ces banques intragroupe (ou banques d’entreprise) ont des fonctions distinctes : elles peuvent être un moyen d’optimiser la trésorerie. Elles peuvent aussi être une faculté de financement pour les clients. Elles peuvent enfin avoir un rôle stratégique en cas de croissance externe ou de gestion de crise.

1 )  Une filiale bancaire pour optimiser la trésorerie :

Notre pays est marqué par une caractéristique délicate à manier : l’importance du crédit inter-entreprises. Dans les transactions de niveau commercial raisonnable, cela demeure une question de rapport de forces entre acheteurs et vendeurs. (question des délais de paiement) En revanche, s’il s’agit d’une vente d’importance pour une filiale donnée, cette entité peut avoir besoin d’apports de liquidités de la part de la société holding. Dans ces cas-là, on retrouve le poste comptable bien connu « créances rattachées à des participations ».

Toutefois, l’époque récente a vu se développer ce que l’on nomme la désintermédiation : autrement dit, le fait que les entreprises accèdent directement aux marchés financiers ( émissions de titres ou levée de fonds ) sans passer par l’intermédiaire des acteurs habituels que sont les banques.

Dès lors, afin de présenter des capacités d’effet de levier, les entreprises ont développé des techniques de « cash pooling » c’est à dire des systèmes centralisés de trésorerie. Une filiale dédiée est alors généralement chargée d’effectuer la centralisation des avoirs disponibles des filiales afin que ceux-ci puissent être placés sur des marchés ou via des produits financiers sophistiqués au rendement intéressant (selon le traditionnel principe du couple rendement -risque).

Au plan fiscal, il s’agit de ne pas omettre que la filiale centralisatrice, par nature commerciale, doit percevoir des intérêts sur les montants qui transitent par elle à défaut d’être soumise à la notion répréhensible d’acte anormal de gestion.

Par la fusion des échelles d’intérêts que le cash pooling permet, il est un outil désormais assez répandu mais parfois mal encadré juridiquement. Ainsi, la société pivot doit physiquement signer une convention d’omnium afin d’éviter que l’incrimination d’abus de bien social ne puisse éventuellement être retenue en cas de difficultés ultérieures (et extérieures au cash pooling).

Parallèlement, les conventions de centralisation de trésorerie réunissant des sociétés ayant des administrateurs en commun doivent obligatoirement faire l’objet de la procédure de contrôle prévue par les articles L225-38 et L225-86 du Code de commerce lorsque les conditions de fait ne permettent pas de considérer que les conventions ont été conclues selon des conditions normales. (Voir bulletin de septembre 1990 de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes)

Ces trois points (acte anormal de gestion, abus de bien social, nature réelle et portée juridique des conventions) sont souvent négligés.

Or la centralisation de trésorerie est constitutive d’un abus de bien social si les entités ne sont réunies que par des mouvements comptables  » dénués de pertinence économiques » (Cassation, chambre criminelle, 23 avril 1991). Parallèlement, une stratégie commune est exigée des sociétés réunies par le cash pooling ( Cour d’appel de Paris, 17 décembre 1990 ). En fait, la jurisprudence est vigilante sur au moins un point très net : l’apport en trésorerie ne peut être exempt de contreparties ou dépasser les facultés contributives de celle qui en a la charge.

L’expérience rapporte que, sous la pression des emplois du temps ou par manque de sensibilité au formalisme juridique, bien des trésoriers centraux ont tendance à en écrire le moins possible et à utiliser habilement le « netting » des créances et dettes intragroupes.

Ce type de paiement par compensation, lorsqu’il est massif et complexe, se heurte à la rédaction rigoureuse de l’article L511-7 du Code monétaire et financier qui dispose qu’une entreprise, quelle que soit sa nature, « peut procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l’une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ». A défaut, la société holding et ses dirigeants contreviendraient avec le monopole des établissements bancaires.

Dès lors, de nombreux groupes ont franchi le pas et se sont dotés de filiales bancaires ou assimilées. C’est le cas du groupe Peugeot, c’est le cas d’Alcatel ( depuis 1956…), c’est le cas de fonds d’investissement américain de type Starwood, etc.

Ainsi, la société faîtière dispose de l’avantage d’un accès privilégié aux marchés financiers via « sa » banque et peut déployer un cash pooling d’envergure sans crainte de requalification fiscale voire judiciaire.

2 ) Une filiale bancaire pour faciliter les opérations commerciales :

Au premier plan de ces banques intragroupes qui ont pour but de faciliter la vie des clients, on trouve les banques qui sont des filiales de grands distributeurs tels que Casino ou Carrefour.

L’ancienne S2P (Société des Paiements PASS et CARMA Carrefour Assurances) est devenue début 2011 l’enseigne « Carrefour Banque » : elle a pour fonction de commercialiser la carte Pass (près de 3 millions d’exemplaires) lancée en 2009 en liaison avec le groupe Mastercard. Parallèlement, Carrefour Banque a émis des crédits à la consommation pour un encours de près de 3 milliards d’euros en 2011.

A côté de cette activité de « retail-banking« , cette banque a collecté et géré près de 2 milliards d’euros avec ses produits d’épargne et commercialisé une gamme complète de produits d’assurances : auto, habitation, santé, etc. Elle comptait, fin 2011, un total de 1.800 collaborateurs dont 1.400 sur le terrain.

Mais à côté de cette filiale bancaire destinée au grand public, il faut relever la présence de banques intragroupe dédiée à des opérations significatives.

Extrait du rapport financier ALCATEL ( un peu ancien : 2003  mais non modifié ) :

« La filiale bancaire d’Alcatel (Electrobanque) est consolidée par intégration globale, les charges et produits d’exploitation bancaires sont présentés en résultat financier, l’activité de la banque étant pour l’essentiel un prolongement de l’activité du Groupe permettant de faire des économies de coût financier et de contribuer au financement des ventes ».

Plus loin ( annexe, note 1t ) :

 » Le financement client effectué par le Groupe est de deux natures : un financement qui s’inscrit dans le cadre du cycle d’exploitation et directement rattaché à des contrats identifiés. Un financement qui s’inscrit dans un projet à plus long terme dépassant le cadre du cycle d’exploitation et qui prend la forme d’un accompagnement sur une durée longue de certains clients au travers de prêts, de prises de participation minoritaires ou de toute autre forme de financement. La première partie est comptabilisée dans l’actif circulant. /…/ La deuxième catégorie est comptabilisée dans les autres immobilisations financières. /…/ Par ailleurs, le Groupe peut donner des garanties à des banques pour le financement des clients du Groupe. Celles-ci sont comprises dans les engagements hors-bilan« .

Cet exemple – de nature classique – montre au lecteur l’échelle des risques. Sans être pour le régulateur européen des G-SIBs (Global systemically important banks), ces banques d’entreprise posent question.

Tout d’abord, il convient de présenter la rentabilité d’une vente par-delà son aspect de marge commerciale en y intégrant ses éventuels coûts financiers liés (crédit fait à l’achateur). Puis, il peut y avoir gonflement de l’actif immobilisé par des immobilisations financières qui dépendent nécessairement de la bonne fin commerciale du contrat (risque d’actif fictif). Enfin, il y a le risque de mésestimation des engagements hors bilan pour des groupes transnationaux.

La prudence s’impose d’autant plus que les administrateurs de ce type de banques sont des mandataires (ou anciens mandataires sociaux) de la société faîtière.

Bien évidemment, le lecteur gardera à l’esprit que les constructeurs automobiles ont des banques afin d’aider le financement de leurs clientèles (concessionnaires et clientèle finale) ce qui, en temps de récession marquée, ne peut que poser question.

3 ) Une filiale bancaire pour la croissance externe ou pour gérer une crise interne :

La décision de se doter d’une banque intragroupe peut venir d’une société dont l’objectif est la croissance externe. Au lieu de régler des « fees » à de prestigieuses banques d’affaires, la banque du groupe considéré peut procéder à d’éminents recrutements et fonder sa stratégie de repérage de cibles sur une « dream team » maison. Dans certains cas, cela peut accroître la confidentialité et le sérieux des opérations comme le montre, à titre de bel exemple, le mode de fonctionnement d’Investor AB et surtout de la holding des Wallenberg : EQT Partners.

Vecteur de la croissance externe, comme certaines sociétés financières de l’IFIL (Agnelli) le furent, ces banques n’ont guère de vocation à épauler les clients des sociétés d’exploitation mais bien davantage à fédérer des pools bancaires une fois la cible identifiée.

Parallèlement, une banque intragroupe peut aussi être un véhicule permettant de gérer une crise interne. Dans le cas de PSA, la banque PSA Finance est une filiale à 100% du groupe qui a pour fonction d’assister le financement des clients. Parallèlement, elle a pour fonction d’assurer le financement des stocks de véhicules et de pièces de rechanges de ces deux marques. En 2011, son encours global dépassait les 24 milliards d’euros dont 6 dédiés aux concessionnaires pour un résultat courant de 530 millions.

Face aux difficultés de trésorerie du Groupe PSA, celui-ci a obtenu de l’Etat une caution sur des emprunts effectués par la banque du Groupe à hauteur de 7 milliards d’euros (fin 2012).

Ceci permet, pour la Puissance publique, de contourner certaines règles européennes (aides directes proscrites) mais il ne faut toutefois pas méconnaître les nombreuses jurisprudences françaises qui ont condamné des situations dans lesquelles des apports de fonds ont lieu (comptes-courants, recapitalisations, engagements reçus, etc) alors que la situation « est irrémédiablement compromise ».

Au demeurant, en dépassant le cas de PSA, il faut garder en mémoire que l’état de cessation des paiements intervient lorsque la société pivot prend la décision de ne plus apporter de soutien à sa ou ses filiales. On peut imaginer le cas où la banque du groupe soit jugée comme un risque excessif par ses partenaires extérieurs voire par l’ACP (Autorité de contrôle prudentiel). Dans ce cas de figure – extrême – les éléments décisifs viendront du calcul des résultats après retraitements de consolidation et de leur impact sur le résultat consolidé (part du groupe).

Dans toutes les hypothèses, une banque de groupe peut être une sorte de béquille mais pas une voie de traverse pour organiser une fuite en avant. Selon la définition de l’article L621-1 du Code de commerce, l’état de cessation des paiements se définit par « l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ». C’est donc bien avant tout une notion de trésorerie qui ne peut être établie qu’à la lecture du bilan de la société.

A l’heure où le Comité de Bâle veut imposer aux banques des « dispositifs de gouvernance solides »  (voir les 14 principes réaffirmés en Janvier 2013) et des mesures de risques capables de capturer et de suivre l’évolution par entité légale, type d’actifs, lignes d’activités, on en déduit que ceci vaut appel à la prudence pour les banques intragroupe.

En guise de conclusion :

Les banques d’entreprise ne paraissent pas souvent au cœur des problématiques du risque bancaire alors que l’exemple en cours de déploiement de PSA montre qu’il ne faut pas sous-estimer ce champ de l’activité financière.

Parallèlement, ces banques intragroupe sont bel et bien des banques de plein exercice. Ainsi, la banque du Groupe Volkswagen a grandement eu recours au mécanisme de la BCE mis en place en 2012 : le LTRO (Long term refinancing operations).

Consistant à accorder des conditions de financement favorables, ces LTRO ont permis à la banque de VW de bénéficier de prêts à trois ans à un taux fixe de 1%. Chaque banque a pu bénéficier de ses prêts en fonction des garanties qu’elle pouvait apporter à la BCE. Le Groupe VW a donc pu obtenir un avantage concurrentiel et accorder à sa clientèle des conditions avantageuses qualifiées de rabais agressifs par ses concurrents. Il y a donc une prime à la qualité bilancielle bancaire intragroupe qui s’additionne alors avec l’efficacité commerciale tangible. Pour information, le banque intragroupe de VW a réalisé 993 millions d’euros en 2011 de bénéfices avant impôts et escompte des résultats 2012 plus favorables.

Vecteur de prospérité ou facteur de risque, telles sont les deux voies possibles des banques d’entreprise.

« L’argent qu’on possède est l’instrument de la liberté; celui que l’on pourchasse est celui de la servitude ».  Jean-Jacques Rousseau  (Confessions).

JY Archer

Crise et libres contributions économiques

Un commentaire

  • Marco dit :

    Bonjour, pour la partie sur S2P devenue Carrefour Banque, vous avez interpreté la mutation ou en avez parle avec des gens du groupe ? J’ai l’impression que votre propos est très réducteur et que vous manquez d’infos…

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