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Le Système Law, première émission de billets papiers, première grande faillite bancaire en France !

Par 13 mars 20132 commentaires10 minutes de lecture
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Nous avions laissé l’histoire de la Banque avec la place de Lyon, leader européenne de la banque au XV et XVI ème siècle.

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Arrive ensuite les troubles liés à la Révolution Française. Cette période est une période de transition entre les prémices de l’activité bancaire et la haute banque qui précède la création des banques de réseaux.

Sous Louis XIV, la monarchie a un grand besoin de liquidité. En 1715, Louis XIV meurt. Louis XV étant encore enfant, le duc d’Orléans devient Régent. Les finances du royaume sont alors dans un état désastreux suite à des décennies de guerre. La dette s’élève alors à 3,5 milliards de livres(40 Milliards d’euros) soit l’équivalent d’une dizaine d’années de recettes.

L’aventure Law…

Sa politique de la monnaie ne peut être dissociée de son Système, lui-même au coeur de l’aventure. Elle est très audacieuse : réforme monétaire, fiscale, administrative, maritime, gestion de l’investissement et de la dette publique.

Notons d’ores et déjà l’ensemble des phases utilisées qui témoignent de la créativité surprenante de cet homme original :

L’institution de la Banque d’État et de la Compagnie des Indes, l’achat de la Ferme Générale des impôts indirects, le privilège de fabrication des pièces de monnaie, l’achat de la ferme du tabac, le plan de réduction de la dette publique, la démonétisation des métaux précieux, la monétisation des actions, puis, pour les commerçants, la démonétisation des billets et leur remplacement par des compte courants transférables mais inconvertibles…

John Law arrive en France en 1714

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Il est reçu par le duc d’Orléans. Le 2 mai 1716, Law est autorisé par édit à créer une banque privée, sur le modèle de la banque d’Angleterre, qui prend le nom de Banque générale, située rue Quincampoix à Paris. Son capital s’élève alors à 6 millions de livres, réparti en 1 200 actions, payables pour un quart en espèces et pour le reste en « papiers d’État ». Law propose la création d’une banque qui émettra du papier-monnaie contre de l’or et prêtera à l’Etat le métal récolté.Il présente alors tout le Système dans son mémoire sur les banques pour permettre l’établissement d’une banque en France. Sa banque générale créerait des billets de banque, et une Compagnie animerait le développement économique du pays.

La banque connaît un succès immédiat. Le 10 avril 1717, un nouvel édit élargit les privilèges de la banque : les billets qu’elle émet, convertibles en or, peuvent être reçus en paiement des impôts. En 1717, il fonde la Compagnie d’Occident qui obtient le monopole du commerce avec la Louisiane. La Banque générale devient Banque royale le 4 décembre 1718, les billets de banque devenant ainsi garantis par le roi. En 1719, il y réunit d’autres sociétés de commerce pour créer la Compagnie perpétuelle des Indes. Les actions de sa compagnie peuvent être souscrites par apports de rentes sur l’Etat ou par paiement comptant et la banque accepte de prêter des billets à cette fin. En juillet 1719, la compagnie reçoit le monopole d’émission de la monnaie en France. En octobre, enfin, elle reçoit les recettes générales.Mais il souhaite intégrer les deux institutions. La monnaie serait gagée non plus sur des immeubles, mais sur les revenus de l’État, qui seraient collectés par la Banque.

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Autant de pouvoir entre les mains d’un seul homme…

La banque privée (avril 1716) a un privilège monétaire de 20 ans. La Compagnie d’Occident, (mai 1717), reçoit une concession à perpétuité, pour exploiter l’immense territoire de la Louisiane. La banque d’État, (décembre 1718) a le monopole de l’émission des billets, et finance l’État. La Compagnie des Indes (mai 1719) regroupe des Compagnies existantes, et obtient le monopole du fret et du commerce international ; elle utilise 87 vaisseaux, plus que la Compagnie anglaise des Indes. Fin août 1719, la subrogation de la Compagnie dans le bail de la Ferme Générale des impôts indirects lui fournit des ressources considérables. Outre ses fonctions de Gouverneur de la Banque et de la Compagnie, le Régent le nomme Surintendant des monnaies en Août 1719, puis en janvier 1720 Contrôleur général des finances, et enfin Surintendant général des finances. En février 1720, la banque est intégrée dans la Compagnie, qui doit gérer tout le Système !

L’opération démarre bien, mais la banque est fragile puisque, ayant prêté son or à l’Etat, elle est dans l’incapacité de faire face à d’éventuelles demandes de reconversion de ses billets. Le cours des actions de la Compagnie s’envole. La cadence d’émission des billets s’accélère. Mais la réalité des mines d’or du Mississipi et plus généralement la solidité de l’entreprise sont bientôt mis en doute.

En février 1720, en quelques mois, le système de Law va se gripper puis s’effondrer lorsque de gros actionnaires, bientôt suivis par des milliers d’autres, vont demander le remboursement de leurs actions en monnaie métallique. Très vite, les actions perdent de la valeur, la panique s’empare de la population et les émeutes redoublent à Paris et en Province. Le 10 octobre de la même année, un arrêt décrète la suspension du cours de tous les billets… C’en est fini du « système de Law . Et pour longtemps, le nom de Law reste attaché à la première et plus retentissante des banqueroutes. Les détenteurs de billets et d’actions sont ruinés. Law s’enfuit. Seule subsiste, grâce au pouvoir royal, la Compagnie des Indes ; réorganisée en 1722, elle ne disparaîtra qu’en 1769.

Le système de Law a permis de prendre en charge une partie de la dette de l’État. Celui-ci, momentanément plus libre de ses mouvements, a pu soutenir la guerre contre l’Espagne. Cependant, la chute du système rend la France durablement méfiante à l’égard du papier-monnaie : il a ruiné bon nombre d’actionnaires, tout en enrichissant considérablement ceux qui avaient su revendre à temps. Le système de Law a donc permis une certaine mobilité sociale, mais a également suscité des rancœurs tenaces.

Dans le domaine économique, la meilleure circulation de la monnaie a dynamisé le commerce extérieur, principalement vers les colonies.

Paul Harsin, son historien, a écrit : « en 4 années il a fait subir à l’État les transformations les plus profondes et les plus rapides que l’histoire ait jamais connues ».

Il a réussit à imposer le seul gage à sa monnaie fiduciaire : la croyance dans l’expansion, dont l’indice immédiat est la hausse des cours des actions par anticipation. Ces billets n’ont plus besoin d’être garantis par l’or ou l’argent ; la croissance et la confiance sont les véritables bases du système monétaire. L’idée, moderne, « d’effet de richesse » sur la consommation et d’interdépendance entre politique monétaire et évolution boursière, est maintenant formulée.

Le génie Financier de Law avait devancé son époque et pressenti l’avenir du crédit. Le but de Law était d’augmenter la masse de monnaie papier. Sa conception même de l’organisation de son entreprise avait de brillants côtés : réunir à la fois, dans les attributions d’une seule compagnie, l’exploitation d’un vaste commerce extérieur, la perception des impôts et la payement de la dette publique transformée en action de cette compagnie ; diminuer, en outre, les charges de l’Etat, en réduisant à 3% l’intérêt qu’il payait à ses créanciers. Mais une semblable organisation était prématurée. On y voit déjà apparaître le rôle des banques dans la création de monnaie et dans le contrôle des taux d’intérêts.

« Law a échoué, mais le système a réussi »

Le désendettement constitue la donnée principale et permanente du système… plus tous les investissements réalisés (canaux, port, flotte, casernes, marine…) et le dynamisme agricole et commerçant

Nonobstant, cette faillite impose des principes prudentiels essentiels au bon fonctionnement de l’activité bancaire fondée sur la confiance. C’est ainsi que les banquiers de la Haute Banque du XIXe siècle sont convaincus que leur force réside dans de solides fonds propres, qui mettent leur clientèle en confiance et leur permettent d’obtenir des dépôts. Ils les accumulent et les investissent dans le développement du commerce et de l’industrie. Comme nous le voyons, la collecte de capitaux n’est pas un enjeu de 2013, mais un enjeu historique de notre activité ! Nous verrons dans une autre publication comment cette problématique de la liquidité bancaire a été centrale dans le développement des grandes banques de réseaux du XIX ème siècle, dont Le Crédit Lyonnais.

La référence sur ce sujet est naturellement l’ouvrage d’Edgard Faure. En 1977, il écrit un livre savant de 740 pages, « La banqueroute de Law, le 17 juillet 1720 ». C’est un travail, avec 30 pages de références, et la liste des 74 arrêts et décisions qui ont fait, et défait, le Système. Il a été publié, chez Gallimard, dans la collection Trente journées qui firent la France le fameux 17 juillet. En effet, c’est le jour de la banqueroute : après une semaine d’émeutes, et des morts, la banque a renoncé à payer ses billets à ses guichets…

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Nicolas Segard

Carrière dans un réseau en France, marché particulier, privé, professionnel, management d'unité. Responsable du développement des assurances dans une Direction de Réseau.

2 commentaires

  • Nicolas Jaisson dit :

    « Nonobstant, cette faillite impose des principes prudentiels essentiels au bon fonctionnement de l’activité bancaire fondée sur la confiance. C’est ainsi que les banquiers de la Haute Banque du XIXe siècle sont convaincus que leur force réside dans de solides fonds propres, qui mettent leur clientèle en confiance et leur permettent d’obtenir des dépôts. »

    Certes, mais la source des capitaux propres au XXIe siècle n’a rien à voir avec celle du XIXe. D’ailleurs les banquiers dans la banque d’investissement, ce sont vite rendus compte que la transformation des titres de dette en capitaux par leur vente à la banque centrale ou à une autre banque permettait d’accroître la solvabilité et l liquidité des banques de façon beaucoup plus rapide et efficace que l’apport de fonds de la part de la clientèle. C’est une vue de l’esprit de croire que les fonds propres de la banque proviennent des dépôts de leurs clients. Il n’en a jamais été ainsi, sauf à une époque reculée, et heureusement car autrement l’effet de levier entre l’actif et le passif eut été quasi nul et la banque n’aurait jamais pu gagner d’argent. D’ailleurs la banque de dépôt proprement dite a une rentabilité très faible, au contraire de la banque d’entreprise et surtout de la banque d’investissement, qui a longtemps été la vache à lait des grands groupes boursiers.

    Avant l’échange des titres entre les investisseurs en bourse, les banques créaient de la monnaie par le réescompte des effets de commerce, qui permettaient de créer de la monnaie en augmentant la vitesse de circulation de l’argent d’une part et en créant des liquidités à partir du crédit, au sens de la confiance, que la banque accordait à des maisons de commerce ou à des industriels pour leur permettre d’accélérer le développment de leurs affaires.

    La dématérialisation des titres et le trading des instruments financiers radicalement changé la donne monétaire, en permettant à la monnaie de marché de financer la dette publique et privée dans le monde réel, dans des proportions quasi illimitées. Les règles de la création monétaire et de son contrôle s’en sont trouvées radicalement modifiées, au sens où la création monétaire sous forme de produits de dette, devenait illimitée et où la banque centrale pouvait décider de la monétisation des dettes en jouant sur la garantie qu’elle accordait ou non au collatéral dette sur les marchés. La conséquence de cette circulation des titres entre le monde virtuel des marchés et la dette dans le monde réel a été de faire disparaître la différence entre le capital et la dette. Un produit de dette dans les actifs d’une banque pouvait devenir une ressource financière en le revendant à une autre banque, en particulier la banque centrale, depuis les rachats massifs de dette par la BCE.

    Dès lors, il n’y a aucune nécessité pour les banques de collecter des capitaux, puisque les dettes créées par elles-mêmes deviennent leurs propres ressources financières. La même logique prévaut dans les fonds d’invetissement qui font voyager les capitaux allégrement entre les marchés actions et les marchés obligations, au gré des fluctuations des taux d’intérêt et des politiques de rachat de titres par les banques centrales. C’est ce qui a produit cette fantastique envolée des produits de dettes dans les monnaies de marché, qui financent les opportunités partout dans le monde, tant dans le domaine public que privé. L’exemple des liquidités américaines qui ont largement financé les pays émergents pendant une trentaine d’années en iat un magnifique exemple. L’immobilier chinois a bascule, dès lors que le gouvernement chinois a décidé de mettre un terme au financement des groupes immobiliers en eurodollars, qui voyageaient entre la dette d’entrepris et les produits d’investissement vendus aux particuliers ou aux investisseurs de marché.

    D’ailleurs vous avez certainement constaté que personne ne respecte les fameux critères d’endettement de Maastricht, ni les pactes de stabilité, C’est justement au moment où les Etats ont brisé les compteurs de la dette, que les organismes dédiés à la régulation bancaire et les règlements produits par leurs soins se sont mis à prospérer. Le fait remarquable est que leurs auteurs sont souvent d’anciens banquiers reconvertis en régulateurs. Là aussi, la confusion des genres règne.

    Donc vous confondez l’effet la cause; si la régulation prospère à ce point, c’est parce que la fraude monétaire par la création excessive de produits de dette servant à la monétisation des dépenses des Etats et des entreprises ayant accès aux marchés est devenue non seulement institutionnelle mais est aussi complètement passée dans les moeurs, à un point tel que personne ne la remet plus en cause. L’Etat a parfaitement compris, que pour faire croire au bien-fondé d’un tel système de transformation monétaire, qui confond actifs et passifs ou capitale et dette, le mieux était de mettre le législateur de son côté, en permettant aux acteurs du système bancaire d’en définir les règles du jeu.

  • Nicolas Jaisson dit :

    « Il a réussi à imposer le seul gage à sa monnaie fiduciaire : la croyance dans l’expansion, dont l’indice immédiat est la hausse des cours des actions par anticipation. Ces billets n’ont plus besoin d’être garantis par l’or ou l’argent ; la croissance et la confiance sont les véritables bases du système monétaire. L’idée, moderne, « d’effet de richesse » sur la consommation et d’interdépendance entre politique monétaire et évolution boursière, est maintenant formulée. »

    Justement, Law a confondu l’enrichissement sur les marchés avec l’enrichissement de l’économie dans le monde réel. A ce sujet, l’exploitation des colonies américaines, même depuis la transformation des compagnies publiques en monopoles privés, n’a jamais rien rapporté à la France en termes d’enrichissement net de la nation. Surtout à cette époque, où il fallait tout créer, en particulier les infrastructures, avant de songer à un quelconque rendement économique. Le seul avantage réel a été de relancer les constructions navales civiles et militaires.

    Le cours des actions ne préjuge donc en rien de l’évolution de l’économie réelle. Et toute la confusion de Law vient de là, à savoir la fausse identification entre la monnaie fiduciaire et la monnaie de marché, dont les banquiers aiment très peu parler, étant donné qu’elle est la source d’une manipulation comptable considérable et d’un détournement de la création de valeur dans le monde réel vers la création de valeur sur les marché. Law avait fini par autoriser l’achat d’actions de la Banque Royale avec des billets à ordre émis par cette banque et non en numéraire, ce qui encourageait la spéculation et décourageait la conversion des billets en métal.

    Depuis l’expérience ratée de Law rien n’a changé. La suppression de mon commentaire précédent prouve encore combien les banquiers sont susceptibles à ce sujet.
    L’affaire Enron de manipulation du bilan par le financement provenant de la collatéralisation des actifs transformés en produits dérivés de hors-bilan avait pourtant servi de leçon en matière de prévention des manipulations comptables et de gestion des risque de crédit. En pure perte, puisque l’affaire Greensill, similaire en tous points, avec en plus la corruption/concussion de hauts fonctionnaires du Trésor public, à l’initaitive de l’ancien PM Cameron, a répété les mêmes mécanismes de fraude en…2021.

    Mais le banquier étant son propre régulateur, l’affaire a été promptement enterrée. On pourrait d’ailleurs citer beaucoup d’autres affaires. Donc le monde financier des marchés et le monde réel de l’économie sont deux domaines qui devraient rester nettement séparés, comme l’avait si bien claironner feu Maurice Allis, dont aucune des recommandations n’a jamais été appliqué. Pourtant lorsqu’on lit les feuilles d’analyse économique des grandes banques françaises, elles continuent à associer étroitement le monde des marchés et le monde réel, sans se rendre compte que l’un pompe l’autre, en vertu du principe que c’est toujours la vraie valeur qui finit par payer la fausse, sous forme de dettes, encore appelées crédits, pour enjoliver la chose.

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