C’est au 1er Aout 2003 que la déclaration d’insaisissabilité est introduite par la loi pour l’initiative économique. Elle a alors pour but de « restreindre» le patrimoine de l’entrepreneur ou plus précisément de limiter l’étendue du gage de ses créanciers professionnels.
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Elle est l’un des cinq éléments principaux de la Loi Dutreil (Loi élaborée par Renaud Dutreil, secrétaire d’Etat aux PME, et publiée au Journal officiel le 5 août 2003), relative à l’initiative économique. Cette déclaration, établie par acte notarié, donnait la possibilité à l’entrepreneur de protéger son domicile et donc de le rendre insaisissable par ses créanciers professionnels.
Cette déclaration n’est alors strictement limitée qu’au périmètre de la résidence principale.
Elaborée dans le but de favoriser l’accessibilité à la création d’entreprise cette déclaration concerne donc les commerçants, artisans, agents commerciaux, les agriculteurs et les professions libérales.
Après plusieurs interventions de la part du législateur c’est en 2008 et l’entrée en vigueur de la LME que le périmètre d’insaisissabilité est élargi (Loi n° 2008-776 du 4 août 2008). En effet, la résidence principale n’est alors plus la seule à bénéficier de cette protection.
1 – Périmètre d’application de la déclaration d’insaisissabilité.
L’entrepreneur a donc désormais la possibilité de protéger tout bien foncier bâti ou non bâti, non affecté à l’usage professionnel. Il peut également s’agir d’un immeuble propre ou personnel à l’entrepreneur, commun aux époux ou en indivision (Il est à noter que si le bien est indivis, seuls les droits indivis du déclarant sont insaisissables).
Les meubles et les immeubles qui seraient de quelque manière que ce soit affectés à l’activité professionnelles, se trouvent donc automatiquement exclus du champ d’application de la déclaration d’insaisissabilité. Clairement, du point de vue des créanciers, l’immeuble est ici un gage de l’activité.
Une nuance est à apporter dans le cas d’un bien immobilier à usage mixte (Art. L. 526-1 du Code du commerce). Dans certaines situations, l’entrepreneur peut être amené à exercer son activité professionnelle dans l’immeuble déclaré insaisissable. Dans ce cas, il lui faudra en premier lieu dresser un état descriptif de division pour que seule la partie réservée à l’habitation soir préservée par la déclaration d’insaisissabilité.
Il est à noter que cet état descriptif de division n’est pas obligatoire dans la mesure où l’entrepreneur individuel cloisonne son activité professionnelle à son domicile, qui fait alors l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité. En revanche si la résidence principale est intégrée dans une SCI la déclaration n’est pas possible.
2 – Modalités d’accomplissement.
Trois éléments sont nécessaires pour établir cette déclaration. Elle sera obligatoirement établie devant le notaire, sous peine de nullité. Ensuite, elle doit être la description détaillée des biens et de leur caractère propre, commun ou indivis.
Enfin, la déclaration doit être publiée au bureau des hypothèques du fait de la nature immobilière du bien relatif à la déclaration, mais aussi au registre de publicité légale ou dans un journal d’annonces légales afin d’informer les créanciers de l’existence de cette déclaration.
3 – Les effets de la déclaration.
Les biens inscrits dans la déclaration ne pourront donc pas être saisi par les créanciers professionnels. Cette dérogation aux articles 2284 et 2285 du Code civil est rendue possible par l’article L. 526-1 du Code de commerce.
Les créanciers concernés ne sont que ceux naissant après la publication de la déclaration ; ne sont alors engagées que les dettes futures. Par conséquent, les créanciers antérieurs, qui se seraient engagés auprès de l’entrepreneur disposant d’un immeuble dans son patrimoine, ont la possibilité de saisir ledit immeuble.
D’autre part, la déclaration d’insaisissabilité n’étant relative qu’à l’activité professionnelle, seuls les créanciers professionnels sont concernés. Les créanciers privés n’ont pas à tenir compte de cette déclaration et peuvent donc saisir les biens dénoncés comme insaisissables.
Il est à mentionner que si l’immeuble est mis en vente, l’insaisissabilité est transférée sur le prix, à la condition qu’un nouveau bien immobilier soit acquis sous forme de remploi du prix de cession et ceci, dans un délai d’un an.
Une déclaration de remploi de fonds doit être établie et les formalités de publicité restent les mêmes que pour la déclaration initiale.
L’insaisissabilité se reporte donc sur le nouveau bien à hauteur de la fraction du bien financé par le prix de cession. Pour la différence, il est nécessaire d’établir une nouvelle déclaration. Ainsi « l’entrepreneur est en mesure de changer de résidence principale en gardant le bénéfice de l’insaisissabilité à compter de la date de la publication initiale ».
La déclaration étant personnelle à l’exploitant, l’intervention du conjoint n’est pas nécessaire et-ce quel que soit le régime matrimonial. Dans le cas d’un régime de communauté, par suite logique, le conjoint tirera profit de cette insaisissabilité. Cependant, la déclaration n’étant relative qu’aux créanciers professionnels, la saisie d’un bien foncier commun pourra être faite par les créanciers privés du conjoint.
Lors de la dissolution du mariage, la déclaration demeure, à la condition que le déclarant soit le bénéficiaire des biens concernés. Si le déclarant venait à décéder, la déclaration d’insaisissabilité est révoquée et ne peut plus produire d’effets. Elle ne se transmet pas non plus aux héritiers.
Débats sur l’insaisissabilité
Comme à de nombreuses reprises dans la constitution du droit français, la déclaration d’insaisissabilité à l’instar d’autres mécanismes juridiques, a fait l’objet à de nombreux débats et de multiples rebondissements. Ceux-ci non sans doute pas contribué à en faire un outil clair et simple d’utilisation.
Initialement, l’arrivée de l’EIRL au 1er janvier 2011, devait engendrer la suppression de cet outil de protection patrimoniale (Selon l’article 6 du projet de loi relatif à l’EIRL : « Aucune publication de la déclaration mentionnée au premier alinéa ne peut intervenir plus de neuf mois après la date de publication de la loi relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée »). Tour à tour, l’Assemblé Nationale et le Sénat avaient voté respectivement en faveur de son maintien, puis de son abandon.
Certains, faisaient valoir le fait qu’un entrepreneur, pouvait ne pas souhaiter constituer une EIRL, au regard des formalités à accomplir. Le patrimoine des français étant constitué aux deux tiers de biens immobiliers et le coût d’établissement de la déclaration étant relativement peu élevé, (environ 500 euros quelle que soit la valeur du bien), voilà deux raisons suffisamment valables pour convaincre le chef d’entreprise de se tourner vers la déclaration.
D’autres, pour promouvoir sa suppression, évoquaient les éventuelles complications juridiques en cas de cumul avec l’EIRL. En effet, la résidence principale pouvait alors être utilisée en partie pour l’activité professionnelle, (donc affectée au patrimoine professionnel) et dans le même temps, être déclarée insaisissable. La conséquence était alors d’admettre une exception, selon laquelle, le patrimoine affecté serait le seul gage des créanciers professionnels.
Finalement, la déclaration d’insaisissabilité, par les dispositions adoptées par la commission mixte paritaire, sera maintenue (Un amendement visant à supprimer l’article 6 du projet, article qui prévoit l’extinction de la déclaration, a été adopté par la CMP).
Son maintien, malgré la divergence des avis et les réactions suscitées, montre bien que cet outil, trouve pleinement sa place dans les instruments de protection patrimoniale.
Limites de l’insaisissabilité
Toutefois la déclaration d’insaisissabilité, trouve sa limite dans l’éventuelle difficulté d’accès au crédit. Un entrepreneur, dont le seul bien serait son habitation principale et qui constituerait donc la seule garantie de son activité aux yeux de ses créanciers, pourrait difficilement obtenir un crédit, si ledit bien était déclaré comme insaisissable.
Néanmoins, depuis sa création en 2003 et malgré l’extension des biens affectables par la Loi de modernisation de l’économie en 2008, de nombreuses incertitudes doctrinales faisaient de la déclaration d’insaisissabilité, un mécanisme de protection trop incertain et finalement peu utilisé. En effet, c’est au moment où l’entrepreneur en avait le plus besoin, lors de la mise en liquidation judiciaire de son entreprise, que de nombreuses questions se posaient alors. L’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 28 juin 2011, apporte son lot de réponses et redonne à la déclaration ses lettres de noblesses.
A l’origine de cet arrêt, la mise en liquidation judiciaire d’un entrepreneur individuel. L’élément clé, réside dans le fait que l’année précédente, ce dernier avait effectué afin de protéger son bien d’habitation, une déclaration notariée d’insaisissabilité.
Pourtant, à son grand étonnement, le liquidateur judiciaire fut autorisé par une ordonnance du juge commissaire, de mettre en vente aux enchères publiques ledit immeuble.
Après avoir déposé un recours contre cette ordonnance, elle fut déclarée de nul effet par le tribunal. Mais le soulagement ne fut pourtant que de courte durée, puisque ce fut au tour de la Cour d’appel de confirmer l’ordonnance du juge commissaire. L’explication de ce « verdict » est simple : La déclaration d’insaisissabilité, n’est opposable qu’aux seuls créanciers postérieurs à la publication et dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle du constituant. Par conséquent, son opposabilité aux créanciers antérieurs à la publication ou dont les créances ne sont pas inhérentes à l’activité professionnelle n’est pas recevable. De ce fait, la vente du bien, objet de la déclaration, ne peut pas être empêchée par la celle-ci.
C’est ainsi que depuis 2003, l’ombre plane, quant à l’efficacité de la déclaration d’insaisissabilité dans le cadre de l’ouverture d’une procédure collective. Est-elle un véritable mécanisme de protection du patrimoine de l’entrepreneur en faillite ?
Le 28 juin 2011, la Chambre commerciale de la Cour de cassation confirmera l’efficacité de la déclaration d’insaisissabilité, en la rendant opposable au liquidateur judiciaire (« le débiteur peut opposer la déclaration d’insaisissabilité qu’il a effectuée […] avant qu’il ne soit mis en liquidation judiciaire, en dépit de la règle du dessaisissement»).
4 – Une efficacité à nuancer
Depuis 2003, année de création de la déclaration d’insaisissabilité, s’il est une évidence que celle-ci est opposable aux créanciers postérieurs à sa publication et dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant, qu’en est-il lors de l’ouverture d’une procédure collective ?
Le manque d’informations à ce sujet, sera qualifié par François-Xavier Lucas d’ « éminemment regrettable ». Et pour cause, la mise en liquidation judiciaire, marque la présence logique de créanciers antérieurs et de créanciers qualifiés de privés, à qui la déclaration n’est alors pas opposable.
Jusqu’alors deux théories se faisaient face, mais ni la doctrine, ni aucune autre affirmation jurisprudentielle ne permettait de clarifier la situation.
La première admettait que la saisie et la vente d’un immeuble par le liquidateur était possible, compte tenu du fait qu’il représentait la totalité des créanciers. En d’autres termes, il suffisait alors qu’un seul des créanciers soit né antérieurement, ou que ses droits ne soient pas nés à l’occasion de l’activité professionnelle du débiteur pour que la déclaration ne lui soit pas opposable. La somme perçue par la vente forcée serait alors reversée à hauteur des dettes aux créanciers, la différence serait elle, reversée au débiteur et non aux créanciers auxquels la déclaration etait opposable. Certains considéraient que cette différence devait alors être reversée aux créanciers restant (Arrêt du TGI de Nancy le 6 juillet 2009), ce qui destituait la déclaration de tout intérêt.
La seconde théorie, beaucoup plus simple, considérait que le mandataire judiciaire, agissant au nom de l’ensemble des créanciers sans distinction, ne pouvait saisir et vendre le bien alors que la déclaration n’était opposable qu’à seulement un groupe de créanciers.
Aujourd’hui, par cet arrêt, plus de doute quant à la protection juridique de ce mécanisme, qui est opposable au liquidateur judiciaire. Ce dernier n’agit pas dans le cadre d’une procédure individuelle, mais, comme son nom l’indique, il s’agit bien d’une procédure collective et donc de l’intérêt d’un ensemble de créanciers.
Cependant, de nouvelles interrogations font leur apparition. En effet, par la solution du 28 juin 2011 il est désormais possible au débiteur d’opposer la déclaration d’insaisissabilité, avant que la liquidation judiciaire ne soit prononcée. En ce sens, la règle du dessaisissement (Code de commerce Art. L. 641-9) est remise en question. La saisie générale des biens et droits sur lesdits biens du débiteur par le liquidateur ne semble plus possible, les biens affectés à la déclaration étant hors du champ de la procédure.
Si de prime abord il ne s’agit en réalité que d’un simple différent entre deux camps qui soutiennent pour l’un les pouvoirs du débiteur, pour l’autre ceux du liquidateur judiciaire,
un enjeu crucial reste en suspens. Il concerne un réel problème que la jurisprudence n’a toujours pas clarifié. L’étendue du gage des créanciers. En d’autres termes, la possibilité accordée aux créanciers auxquels la déclaration est inopposable (créanciers antérieurs ou dont la créance est extraprofessionnelle) de procéder à une poursuite individuelle c’est-à-dire hors du cadre de la procédure de liquidation.
En l’espèce, pourront-ils saisir le bien directement, individuellement, alors qu’ils ont déclaré leur créance à la procédure ?
Les poursuites individuelles sont en général interdites en cas de procédure collective, mais ici, le bien affecté à la déclaration n’est plus dans l’étendue de la procédure, ce qui a pour conséquence de laisser planer le doute.
Dans l’éventualité ou le bien pourrait alors être saisi et vendu par ce créancier une incertitude de plus fait son apparition quant au produit de la vente.
Ici aussi le débat est ouvert et divise. Deux analyses se distinguent alors. Si tous sont d’avis que le produit de la vente doit être distribué entre les différents créanciers dont la déclaration est inopposable, les uns considèrent que le « surplus » doit être rétribué au débiteur, les autres affirment qu’il doit être intégré à la procédure, le constituant étant en liquidation judiciaire.
Il est évident que si tel était le cas, l’efficacité de la déclaration d’insaisissabilité serait très fortement remise en cause.
Face à la doctrine et à ses nombreuses hésitations, la jurisprudence s’insurge et en déterminant de façon plus précise l’étendue de l’opposabilité, permet à la déclaration d’être un outil attractif.
L’amélioration de la sécurité juridique de la déclaration offerte par l’arrêt du 28 juin 2011 n’est pas négligeable, mais il conviendra que le législateur lève rapidement les incertitudes restantes. La déclaration d’insaisissabilité est un outil de protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur simple et efficace, mais pour l’heure, la prudence reste de mise pour éviter que celui-ci ne se retrouve face à une situation délicate, voire même dangereuse.