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Lyon, une ville au coeur de l’histoire de la Banque en Europe du XIII ème au XVI ème siècle

Par 14 octobre 20122 commentaires16 minutes de lecture
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Vous voulez effectuer une visite de Lyon tout à fait inédite ? Une visite qui ne se trouve pas dans les guides touristiques… Alors suivez cette visite de Lyon sous l’angle de son passé bancaire prestigieux !

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Le début de la visite commence Place St Paul. Prenez la rue Juiverie, et vous rentrez directement dans la rue qui rassemblait les principales banques au XV ème siècle. Par exemple, la banque de Médicis est installée dans la maison de Thomas Basto.  Au bout de la rue, vous tournez à gauche dans la rue de la loge, anciennement rue du Puits-de-porcherie où s’installent les Capponi. Les Gondi choisissent quant à eux la montée St Bathélémy un peu plus haut sur la colline de Fourvière. Vous devez connaître la maison Gadagne à deux pas de là.

A la fin du XVI ème siècle, le centre des affaires se situe rue Juiverie. C’est une délibération du conseil municipal de 1579 qui mentionne l’endroit comme le plus opulent de la ville pour la commodité qu’il a du change et pour être habité des plus riches marchands et négociateurs. Le quartier est d’ailleurs modelé par le mode de vie de ces «marchands-banquiers» florentins qui créent de vastes jardins dans leur propriété comme les Gadagnes ou les Gondi.

En descendant la rue de la Loge, vous arrivez sur la Place du Change, le lieu névralgique du change et de la Banque dès le XIII ème siècle. Plongeons dans cette ambiance où les maisons avec domestiques, les boutiques multiples, les familles italiennes, les marchands-banquiers, les compagnies de Banquiers, les courtiers de change ou les changeurs remplissent cet espace où se traitent les affaires d’argent, où s’échangent les monnaies et les marchandises. Plongeons dans un univers proche des peintures de Breughel ou du Desolation Row de Bob Dylan….

Le Lyon médiéval, les foires, l’origine de la banque à Lyon :

La situation géographique de Lyon est un atout qui est à l’origine du développement économique de la ville. Cela amène les bourgeois marchands lyonnais à demander la création d’une foire propre à la ville, à l’image de celle de Genève, Francfort ou Leipzig. C’est le futur Charles VII, encore dauphin, qui accorde à la ville l’autorisation de réaliser deux foires franches de six jours chacune, exemptes de tout impôt, ouvertes aux marchands de toutes nationalités, admettant toutes les monnaies et surtout sous la protection royale.

Le savoir faire bancaire de la place lyonnaise a donc pour origine les protections offertes par le roi aux foires dans les années 1420 – 1444. Les marchands y bénéficient d’exemptions fiscales et d’une liberté de faire circuler l’argent hors des frontières, alors que l’exportation des monnaies était alors interdite. Le succès amène Charles VII à créer une troisième foire en février 1444. Les foires lyonnaises durent alors vingt jours francs. Les concurrences des foires est forte en Europe, ainsi, pour contrer la foire de Genève, Charles VII décrète le 17 juillet 1445 l’interdiction de transporter des marchandises du royaume de France vers Genève, privilège renouvelé en 1454, 1457 et 1461. Tout est mis en oeuvre pour favoriser la foire de Lyon jusqu’à l’interdiction même aux marchands le passage par le royaume pour aller à Genève. En 1496, il devient défendu de porter des marchandises hors du royaume pendant la durée des foires. En 1530 ce sont les foires grenobloises qui sont révoquées par lettres patentes de François 1er. Les mesures protectionnistes ne sont donc pas une innovation de notre siècle et furent bigrement efficaces, amenant Lyon à être la place commerciale la plus fréquentée d’Europe…

Les foires connaissent donc un fort succès et génèrent beaucoup d’argent qu’il faut arriver à changer. Diverses monnaies s’échangent, les paiements se font aussi par lettre de change, faisant de Lyon une place financière et bancaire de premier ordre.

Au summum de sa prospérité, la ville fixe les parités des monnaies européennes.

Lyon, place bancaire italienne…

Les Italiens s’installent en masse à Lyon vers 1465 même si les premières présences italiennes sont signalées dès le XIII ème siècle. Il est probable que le choix des italiens, notamment des florentins, est lié à la situation géographique de la Ville, proche de leur ville natale. Les Florentins n’envisageaient pas de rester de manière définitive à Lyon. Ils avaient en tête un retour vers Florence dans la mesure où les conflits avec les Médicis l’eut permis. Les Médicis transfèrent leur succursale de Genève à Lyon en 1466. A partir de 1489, Lyon devient la plaque tournante du négoce Franco-Italien. On y échange les pièces, les métaux, l’alun, les tissus de luxe italiens, les toiles et draps flamands; on y traite le tiers des importations du royaume. Les lettres de change y sont une pratique courante. Il s’y ajoute les virements et les compensations. Cet ensemble facilite les échangent commerciaux.

A Lyon, les Florentins sont les négociants-banquiers les plus nombreux : au moins une cinquantaine de maison de Banque vers 1500, comme les Guadagni (allez visiter le musée Gadagne dans le vieux Lyon!), les Capponi, les Gondi. Après la conjuration de 1478 (complot réalisé à Florence par la famille Pazzi contre les Médicis, qui échoua), les Pazzi, les Banqini, les Salviati arrivent à Lyon. Puis, conséquence du siège de Florence, les Cei, Del Bene, Strozzi Bartoli font de Lyon le centre de leurs affaires. Ces italiens gardent un lien avec Florence. Cependant ils tendent à s’intégrer à la société lyonnaise. Ils voient leur rêve de retour s’estomper avec le temps et la domination de l’Italie sur l’Europe du XVI ème siècle.

Les florentins ne sont pas les seuls banquiers représentés à Lyon. Les allemands constituent une nation puissante avec les Wesler, les Fisher, les Wolf et particulièrement Jean Kleberger qui est l’homme de la roche du quai Pierre Scize. Comme ses homologues italiens, il devient proche de la cour de France, et devient prêteur de François 1er.

Ces Italiens vivent dans ce qui est aujourd’hui le vieux-Lyon, entre les rues Juiverie, Lainerie ou vers la Place du Change. En 1469, Trente trois maisons florentines et trente trois maisons lucquoises et génoises sont répertoriées. Dans l’Europe du grand commerce, l’opération bancaire principale était le transfert de sommes de place en place. La lettre de change était l’instrument privilégié. Être banquier au XVI ème siècle, ce n’était pas simplement jouir d’une réputation indiscutable, ni savoir mettre en jeu un vaste réseau d’information. Le banquier est un véritable collecteur d’informations. C’est une tradition déjà vivace au moyen-âge. Sans elles, il ne peut véritablement asseoir ses crédits et limiter ses risques. L’essentiel était de faire face à l’immense diversité monétaire européenne : change manuel, conversion de ducats en écus et tout cela facturés par des agios considérables allant de 10 à 11,5% par opérations chez les Capponi ! L’une des qualités recherchées chez les banquiers est aussi la dextérité dans le maniement des différentes monnaies européennes présentes sur la place.

La famille Gadagni est un exemple particulier de ce que peut-être un «parcours» pour les «banquiers-marchands» : Tommasso et Francesco Guadagni ont débuté leur activité dans les banques Pazzi et Capponi, rue de la Loge. Les deux frères vont s’associer pour créer la compagnie «Gadaygne». A la fin du XV ème siècle, son activité est à la fois bancaire et commerciale. L’activité bancaire est diversifiée, telle une banque moderne. En 1554, la compagnie des Gadagne est absorbée par la banque Capponi.Les banquiers font aussi des assurances pour le transport des marchandises jusqu’au lieu de foire. Il s’agit d’assurances maritimes délivrées par les banquiers italiens (Le modèle de Bancassurance vient de naître!).

Laurent Capponi a donné son nom à une rue de Lyon car pendant les trois mois de la famine de 1573, il a fait préparer un repas pour plus de 4000 pauvres de la ville sur la place des Carme. La banque Capponi était la dernière maison florentine présente à Lyon en 1592 (Lire l’excellent ouvrage «La Banque Capponi à Lyon en 1556» par Roger Doucet)

L’activité des banques lyonnaises

Au XVI ème siècle, deux cent neuf grandes sociétés de commerce sont dénombrées dans le royaume, dont cent soixante-neuf établies à Lyon dont cent quarante-trois italiennes.

Les traits essentiels du commerce lyonnais se dégagent : prédominance des soies et soieries, de l’ensemble du secteur textile. La banque est née du grand commerce. C’est ici que s’établit la première lettre de crédit. L’essor du grand commerce multiplie les activités industrielles. En conséquence de quoi, la banque se développe, car les grands marchands font aussi le commerce de l’argent, à l’imitation de leurs homologues italiens, récemment installés à Lyon. Progressivement toutefois, le commerce de l’argent se détache de celui des marchandises.

La place du Change est le lieu de la banque à Lyon. Quatre types d’opération bancaire existent : le change, le dépôt d’argent, le prêt, la lettre de change. Il n’existe pas de règles précises. Pour prêter, il suffit de formaliser l’acte devant un notaire. Le change n’est pratiqué que par les banquiers : échanges de pièces de différentes tailles et de différentes valeurs venant de différents pays ou rédaction de lettres de change. Au XVI ème siècle, le cours des monnaies européennes est fixé à Lyon au moment de la foire des paiements lorsque s’effectuent les règlements issus de la foire des marchandises. La foire des paiements est organisée en trois étapes. D’abord sont acceptées ou protestées les lettres de change. Puis, il s’agit de faire le change, c’est à dire déterminer la date des paiements, le prix des changes et le taux d’intérêt. Enfin, trois jours après le change intervient le règlement. La lettre de change sécurise donc les paiements ce qui permet l’essor du commerce. C’est aussi un moyen de crédit car le délai entre l’émission et le paiement est d’un mois. La lettre de change est transférable pour payer une dette ou régler des achats. Avec les désordres de la fin du XVI ème siècle, la lettre de change devient un outil de spéculation sur le change.

A Lyon, il est possible de pratiquer un taux d’intérêt même si le prêt à intérêt est interdit en France … sauf à Lyon grâce aux Lettres Patentes de janvier 1548 qui l’y autorisent. Il est mention de « don gratuit » du roi… Ce « don gratuit » est de 4 % payé lors de chaque foire, soit 16 % par an, correspondant au taux nominal.

Les guerres d’Italie seront largement financées par la banque lyonnaise. En effet, La place de Lyon devient très vite une alliée financière solide pour la couronne de France. Charles VIII installe son armée à Lyon à cause de sa position géographique stratégique. Les banquiers Capponi, Gadagne et Salviati lui accordent de nombreux prêts. Pour les banquiers florentins, les financements des campagnes du roi sont des opérations rentables. Les taux pratiqués peuvent atteindre 20%. En 1522, la dette accumulée par les rois de France atteint 555525 livres. Ce sont les Gadagne qui vont contribuer au paiement de la rançon de François 1er pour le libérer de Charles Quint. A la mort de François Ier en 1547, l’endettement de l’Etat est colossal puisque Roger Doucet estime que les seules dettes contractées à Lyon sont presque égales aux recettes du Trésor, 6 860 844 livres contre 7 183 271 livres.

Henri II se finance auprès de syndicats de banquiers lyonnais pour ses conquêtes militaires. On assiste à une dérive de la dette où de nouveaux emprunts servent à rembourser les anciens !

Apogée et déclin : Le Grand Parti de Lyon :

L’année 1555 voit l’institution du Grand Parti de Lyon, un emprunt géant levé auprès des marchands-banquiers de Lyon qui refinance à long terme l’ensemble des dettes royales existantes ( voir l’étude « L’extraordinaire modernité technique de l’emprunt « Grand Parti de Lyon » de 1555 » Georges GALLAIS-HAMONNO ). Cela n’empêche pas de continuer les emprunts. Le taux nominal est de 16% et la dette doit s’éteindre au bout de quarante et une foire. L’emprunt est proposé aux institutionnels. En 1556 la guerre reprend avec Charles Quint, il faut alors trouver son financement. A cela s’ajoute une crise monétaire caractérisée par le surhaussement de l’or et l’afflux de monnaies étrangères. Les conséquences financières ne se font pas attendre. En novembre 1557, le Trésor ne pouvant payer la 8è échéance est obligé de la transformer en capital prêté.

Les prêteurs ne recevront que neuf remboursements sur les quarante et un. Le neuvième ne sera d’ailleurs qu’un acompte de 30000 écus. Evidemment, cette banqueroute ruine la place financière de Lyon.

Les banquiers lyonnais sont taxés sur leurs transactions (autre idée qui ne date pas de 2012…). En 1550 les florentins doivent payer six deniers par livres sur toutes négociations faites dans les foires. En 1576, le roi exige que les banquiers déclarent les sommes données en changes afin de prélever un denier par livre.

En 1576, le roi Henri III veut réaliser de nouveaux emprunts et envoie une commission spéciale à Lyon qui réunit les banquiers étrangers ou ce qu’il en reste : en citant Roger Doucet : « parmi les florentins, trois des principales maisons avaient failli depuis deux ans, et les autres, au lieu de recevoir des fonds en dépôts n’agissaient plus qu’en qualité de commissionnaires de leurs clients dont ils exécutaient les ordres. Il ne restait que quatre banques génoises, dont trois avaient elles- mêmes besoin d’emprunter. Quant aux allemands, sur quarante maisons qui existaient autrefois, il n’en subsistait que cinq ou six ».

La vitalité Lyonnaise s’effrite dans la seconde moitié du XVI ème siècle. Les banquiers perdent de l’argent dans les prêts à la monarchie devenue insolvable en 1559.

La ville est au coeur des guerres de religions alors que la peste frappe en 1562, 1574 ou 1628. Les Foires de Lyon sont interrompues à plusieurs reprises à cause des interdits royaux, puis des guerres de religion (1562-1563) ou de la peste en Italie (qui oblige en 1576 à la mise en quarantaine des marchandises en provenance d’Italie). Puis le déclin est accentué par la concurrence avec Genève (où de nombreux protestants lyonnais vont se réfugier en 1567).

Néanmoins, la ville renaît au XVII ème siècle. Elle reste une place de banque et de change, avec des banquiers d’envergure, comme Cusset ou Philibert. Puis c’est le déclin relatif. Au XVIII ème siècle, la banque lyonnaise soutient surtout les négoces de soierie, dont la ville devient la spécialiste mondiale. Une nouvelle strate émerge, faite de marchands soyeux banquiers, comme Fulchiron, tandis que des suisses s’installent à Lyon comme Tronchin ou Delessert.

Ensuite il faudra attendre la seconde révolution bancaire du XIX ème siècle pour voir émerger, dans un esprit Saint-Simonien, Le Crédit Lyonnais d’Henri Germain en 1863. Pour cela, notre visite devra se prolonger de l’autre côté de la Saône où l’activité des banques a aussi largement modelé le paysage urbain de la presqu’île lyonnaise.

Nicolas Segard

Carrière dans un réseau en France, marché particulier, privé, professionnel, management d'unité. Responsable du développement des assurances dans une Direction de Réseau.

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